Je préfèrerais croire que c'est la peur. La Fièvre. Tout
autre chose que, même, des souvenirs.
Et le reste.
Peut-être parce que je n'ai pas envie de vivre la vie d'aujourd'hui. Je me
languis de cet Avant. Si soudain et tumultueux. Si plein de promesses et de
pertes à la fois.
Une nuit, juste un soir, si peu. J'aimerais voir demain, et les après. Voir ce
que la vie me réserve, Nous réserves. Comme si les rêves étaient assez. Ce
n'est même plus suffisant pour protéger mes nuits. Ne mentons plus, je me préférais
en gamine là où j'avais encore le droit de ne pas vouloir grandir. Je nous
préférais en idiots inconscients, qui, au moins, savaient vivre.
Que sont devenus mes espoirs vivaces ? Mes envies d'ailleurs et de Grand ?
On se contente de mentir à celui que l'on aime pour ne pas le perdre. Non, je ne vis pas que pour toi. Ou presque, hein.
Je crains des réponses, si bien que les questions ne sont plus que silences.
Les nuits en pleurent. Et les jours pâlissent.
J'ai peur.
Si peur, que j'en pleure un amour passé ? Que les larmes s'échappent à chaque
rire, chaque sourire, chaque regard que j'extirpe des souvenirs ? Que j'en gémis
au souvenir de ses lèvres ?
Pourquoi ? Pourquoi ce soir, et pourquoi elle ?
Alors que je n'ai que l'envie d'entendre sa voix à Lui, là. Mais son corps nu
sous mes paupières closes, je ne peux pas.
Pars, pour la dernière fois. Que je puisse pleurer un présent.
J’ai respiré et repris corps dans ses bras. Enivrée de ses
lèvres, j’ai goûté sans fin aux tendres joies de ses yeux, savourant ces mots
qu’il me glissait à l’oreille. Mon amour. Nos désirs emmêlés, juste effleurés.
Un petit cocon où le temps ne passe plus, où la lumière est verte, rouge, et
soudain bleue, quand il m’a regardée. Laisse fuir le temps, il n’y a plus rien
d’autre que nous. Nous et la douceur de tes mains. Mon amour.
Chacun devine, personne ne sait. Un baiser caché, presque
volé. Et je pleure dans les bras de mon monsieur aux dreads, pour m’endormir
épuisée. Il faut que l’on soit seuls, tous les deux, pour qu’il ose. Pour qu’il
me prenne et m’emmène. Je ne dis rien. Il en a souffert.
Je m’agrippe à lui, comme un dernier jour, et le regarde
partir. Quelques douze jours. Et sa voix au téléphone. Il le faut. Je l’aime.
Un semblant de nuit qui ne finit jamais. Je rêve les yeux ouverts toute la nuit
et dors le jour. Oubliant la fac, oubliant que le temps passe, oubliant que je
ne suis plus la gamine d’hier, mais la fille qui voudrait lire et traduire
demain.
Je ne veux tragiquement pas de Lyon quand il sera là. Je ne
veux pas laisser aux années le temps de filer, et perdre ces Essentiels. Je
voudrais Lui, Elle, Eux, là maintenant. Sans attendre. Sans se voir menacer d’une
fin. Je voudrais.
Mes nuits s’achèvent, mes jours s’éternisent. Mon regard
croule sous les immondices qui s’empilent. Mais, je tisse ma vie de rêves et d’espoirs.
A quoi bon se tuer à ne voir que des cercles sans fin ? Soyons
courageuses, enfin !
Il y avait ce parfum, qui m’a assailli dans la rue, et qui
m’a donné envie d’écrire. Il ramenait en
mémoire des souvenirs d’une autre ville, des souvenirs douloureux, pas en eux-mêmes,
mais dans ce qu’ils ont laissé. Je m’étais arrêtée. Les images étaient
brutales, les mots, les gestes, des formes, la sienne, et ces non-dits. Et puis
tout a disparu. Je respirais à nouveau l’air de Toulouse, la pollution, la
ville. La femme au parfum était partie.
Une année sans écrire, ou très peu. Les mots laissés au
compte-goutte. Une année de passage. Plus de routine, plus d’attentes, ni
d’amours égarées et enfantines. Presque plus rien du passé, en apparence. De
nouveaux visages, de nouveaux lieux. Une année passée à ne plus dire
« moi », mais « nous ». Vivre chez l’un, puis chez l’autre,
ne plus savoir quel jour on est, ni quelle année. Un an. Moi j’aurais dit dix.
Tout à commencé ce fameux week-end d’octobre 2007. Finale de
la coupe du monde de rugby. Je n’avais aucun intérêt pour le sport, seulement
pour une des filles qui m’accompagnaient. Depuis deux ans je ne regardais qu’elle,
ne voyais qu’elle, aveuglée par un amour que finalement j’avais un peu choisi
dès le premier jour, pour en oublier une autre. Et ce n’est au fond ni ses
gestes, ni ses lèvres collées à celle de son homme, qui avaient brisé mon cœur
à ce moment là, mais le regard de ceux qui ne comprenaient plus pourquoi ils
étaient là avec moi, pourquoi ils avaient voulu que j’y sois. Je suis rentrée
en désirant pour la première fois ne plus l’aimer. Et si on m’avait dit que ce
serait si simple, je ne l’aurais pas cru. Je n’étais pas la seule, le lundi
matin, à avoir le visage noyé de larmes. Et c’est cette seule chose, qui a tout
fait changer. Elle était belle, intelligente, droguée à longueur de journée, et
elle m’a aimé. Pas comme je l’aurais voulu, parce que ce n’est jamais comme je
le voudrais avec les filles, mais elle m’a aimé. Une amitié intense, peut-être
trop pour ne pas que mon cœur bascule. Mais cependant assez pour que je n’en
souffre pas.
Pas une seule fois je me serais douté qu’elle me présentait,
une semaine après notre « rencontre », le garçon que j’allai
follement aimer des mois plus tard. Le garçon qui dort toujours dans mes bras,
quand mon portefeuille me laisse redescendre de Toulouse. Le garçon qui allait
me présenter une personne, puis une autre, et encore une autres. Des garçons,
deux filles. Très peu étaient au lycée, la plupart faisaient partie de l’école
de cirque, d’autres travaillaient déjà. Une bande de junkies qui n’ont pas posé
de questions. Je suis arrivée, entourée de ces deux garçons, et je suis restée.
Tout n’a toujours pas été si facile, mais dans le fond qu’importe, si un jour
je ne sais plus où dormir, ils seront tous toujours là pour me prêter un toit.
Et c’est la seule chose qui compte.
L’année est passée, j’ai eu mon bac sans travailler, en
riant au nez de ceux qui croyaient qu’on ne me le donnerait jamais. J’ai passé
les vacances à faire la fête, à boire, à fumer et à faire l’amour. Le mois de
septembre quant à lui n’appelle qu’un mot : l’ennui. Et puis vint octobre,
la rentrée à la fac, les soirées longues et déprimante, le blues. Des kilos en
moins, un sourire amer quand dans la glace je ne vois plus qu’un corps trop
maigre. En trois semaines j’ai perdu tout ce que j’avais repris en un an, et
plus encore. Je n’ose même pas monter sur une balance. Je passe la journée à
avoir faim, en me retenant de manger entre les repas, parce que le
porte-monnaie est vide. Je claque des sous en l’appelant, tous les soirs, parce
que je ne sais plus vivre sans lui. Je donne mes derniers billets à la sncf, et
je croise toujours les contrôleurs en maudissant ceux qui ne les voient jamais.
Je chante Indochine à tue-tête en faisant la vaisselle, je fais le ménage de
temps en temps sous le regard assidu de ma voisine d’en face, et puis je me
promène nue sous ses yeux et ça marche, parce que depuis je ne la vois plus à
la fenêtre. J’ai eu internet aujourd’hui, le téléphone avec. Et c’est la mère
du garçon qui ne va pas aimer l’entendre sonner tous les soirs. Mais cette
semaine c’est décidé, je me prends des vacances, à moins qu’il ne prenne le
train et alors j’irai en cours. Autrement je descends mardi, revoir tous leurs
visages et me précipiter dans ses bras. La fac est ennuyeuse et mon cœur amoureux,
et l’équation sonne douloureusement incompatible.
Et puis j’ai faim, là. Je m’en vais manger des pâtes, sans
ketchup parce que je repousse les courses au dernier moment. Des pates sans
rien, tout juste salées. Et là non, je ne m’étonnerai pas si je maigri encore.
Mais l’amour prévaut, alors billet de train ou repas doubles, ce qui
sous-entends que je me restreins en attendant de le voir.
Un petit mot pour clore mon retour. Fini le rouge et le
noir, je le préfère en outre chez Stendhal. Fini les fraises qui papillonnent
de droite à gauche, je les garde à la fois pour mon cœur et pour ma langue. Je
veux du blanc, fruité, moelleux, à défaut de champagne. De l’inutile, des
sourires et des phrases sans fin. Je crois que tout y est. Il ne suffit plus
que d’y rester fidèle.